Cadoles, murgers

Cadoles, murgers, vestiges d’une agriculture pré-phylloxérique
“Cadeules, meurgers, … Qu’es aquò ?”

Cadoles et murgers sont nombreux en Bourgogne ! Ce petit patrimoine vernaculaire, témoin de la vie quotidienne de nos campagnes d’autrefois, nous entoure sans que nous y prêtions vraiment attention. Et pourtant…


Un élément déterminant du paysage viticole bourguignon


Avant le phylloxéra (1875-1885), Cruzille était couvert de vignes. Les ceps ancestraux d’avant cette période ont quasiment disparu mais les murs de pierre orphelins ont gardé leur « architecture » pour l’œil averti : en épi ou en délit oblique, épousant les ondulations du terrain, ils résistent au gel et aux intempéries.


Parfois les amas de pierres (ou murgers) laissent deviner la base d’une cadole, dont les lierres et ronciers masquent la solitude. Les cadoles désignent, en patois bourguignon, de petits cabanons en pierre sèche, souvent de forme circulaire (en cul-de-four), adossés à des murgers, ouverts à l’est (au soleil levant, côté opposé à la pluie). 


Origine des cadoles et murgers


Malgré leurs appellations qui divergent, les cadoles et murgers ont une caractéristique commune, leur système de construction en pierre sèche. Ainsi, les premiers moines défricheurs du XI° siècle construisaient déjà des murgers ! Les cadoles sont apparues plus tardivement, probablement au XVIII° siècle, quand l’augmentation démographique obligea les paysans à défricher de nouvelles terres pour les rendre cultivables.


Après le défrichage, suivait le minage, c’est-à-dire l’épierrement de la parcelle pour y cultiver, chez nous, surtout de la vigne. Les pierres ramassées étaient transportées dans des hottes en osier puis déposées aux bords des champs, formant de véritables pierriers (tas de pierres). Monter des murets ou des cabanes avec ces pierres permettait de les évacuer et d’éviter l’effondrement des tas.


La plupart du temps datant du XIX° siècle, les cadoles sont de petites cabanes qui servaient de resserres-à-outils ou d’abris pour les vignerons lors des intempéries (en cas d’orage) et à l’heure du casse-croûte, mais aussi de cache pour les malades contagieux en quarantaine ou les maquisards et contrebandiers en fuite. D’autres, bien cachées dans la forêt ou en contrebas de chemins, auraient abrité des rendez-vous galants ou peut-être même servi de refuge à des petits malins qui voulaient échapper à l’impôt de la gabelle au XVIII° siècle !


cadole-murger-pierre-sur-chantLes murgers sont des amoncellements de pierres, plus ou moins organisés et rangés jusqu’à former de véritables murailles, parfois, qui délimitent les parcelles de vignes. Abritant les vignes du gel, ils contribuaient à la création d’un climat favorable aux parcelles dont la faune locale bénéficiait également. Ces pierres étaient posées parfois sur le chant afin de dissuader les chèvres escaladeuses et les moutons de ravager les terres cultivées et permettaient aux eaux de pluie de s’écouler normalement, tout en retenant la terre des parcelles souvent en pente.

Historique du mot

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  Historiquement, le terme de cadole n’a pas toujours été associé à l’emploi de matériaux en dur : il désignait aussi la cabine en planches de certains bateaux servant au transport fluvial sur la Saône et le canal du Charolais (aujourd’hui canal du Centre) aux XVIII° et XIX° siècles (avant l’apparition des péniches). Par extension, le nom en était venu à désigner l’embarcation elle-même, vaste barque affectée au halage de la houille.

Des appellations multiples

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Ces constructions se rencontrent un peu partout en France dans les régions calcaires, mais c’est surtout dans le centre, le sud et l’est que ces petites cabanes sont les plus nombreuses ! Leur nom varie d’une région à l’autre : barracuns en Corse, borries en Provence, cabornes dans le Lyonnais, capitelles dans le Gard et l’Hérault, gariottes en Dordogne, loges dans le Berry… Rien qu’en Bourgogne elles ont différentes appellations : cadoles mâconnaises, cabordes du tonnerrois, borniottes, cabottes, cabiottes, et même loges ou louèges en avallonais. Le terme murger, le plus employé en Bourgogne pour désigner les entassements organisés de pierre, connaît lui aussi des variantes, les termes merger, meurger ou encore murger. Le mot est issu du patois bourguignon qui tire son origine du mot gaulois « morg » qui signifie « limite ». 


Un puzzle grandeur nature


La construction en pierre sèche est un art délicat. Les pierres les plus communes servaient à dresser les murgers. Elles étaient empilées sans mortier et soigneusement calées par un ajustement méthodique.

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Les pierres les plus belles, plates, larges et faciles à appareiller, étaient réservées à l’édification des cabanes. Les pierres étaient assemblées les unes sur les autres par un jeu subtil d’équilibre et de pression, sans aucun mortier. Elles étaient maintenues en place par leur propre poids. La voûte était uniquement composée de pierres extrêmement lourdes qui tenaient par un habile jeu de pression. 


Les paysans à l’origine de ces petits édifices se transmettaient les méthodes de construction de génération en génération. Ils parvenaient même à édifier de petites coupoles composées uniquement de laves !

Les laves de Bourgogne

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Les lauzes, pierres calcaires plates, appelées laves en Bourgogne, sont larges mais peu épaisses. Les laves de Bourgogne sont extraites de formations géologiques datant du jurassique ! Formées il y a environ 165 millions d’années par les courants marins qui ont façonné la pierre en fines plaquettes, les laves contiennent souvent des incrustations de petits végétaux fossiles ou de coquillages.

Typologie des cadoles

Les cadoles sont généralement de petite taille, pouvant abriter une ou deux personnes assises ou accroupies. Construites par les paysans autodidactes à la morte saison, les cabanes relèvent de mode de construction non professionnelle. Aussi, il est impossible de trouver deux cadoles identiques ! Cependant on en distingue plusieurs types selon qu’elles présentent un plan rond, ovale, en quadrilatère ou en polygone. Les cadoles peuvent contenir quelques aménagements intérieurs comme une niche ou un banc de pierre. Les plus grandes étaient équipées d’une véritable cheminée tandis que les plus sommaires se contentaient d’un trou au sommet pour évacuer les fumées du foyer. L’ouverture unique était généralement aménagée vers l’est, à l’opposé de la pluie. Elles sont souvent adossées ou incluses dans des murgers.

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Un abandon progressif

 

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La grave crise du phylloxera qui toucha le vignoble bourguignon dès 1875 marqua le début du déclin des murgers et cadoles, encore aggravé par la désertion des campagnes lors de la Première Guerre Mondiale, et la modernisation du travail de la vigne à partir des années 1920. De nombreuses structures en pierres sèches ont disparu depuis cette époque, souvent par manque d’entretien faute de temps et de savoir-faire technique. D’autres, en ruines, sont encore visibles au milieu de parcelles où la forêt a repris le pouvoir. La plupart ont aujourd’hui perdu leur toiture. 


Cadoles et Archéologie


Ces vestiges d’une période révolue, d’avant la mécanisation, sont-ils des objets archéologiques classiques ? Serait-il intéressant d’y entreprendre des fouilles par exemple ?

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Fouiller le sol d’une de ces cabanes a déjà été entrepris (Cabanes en pierre sèche de France, C. Lassure et D. Repérant, 2004) et « par chez nous », à plus forte raison ! Mais malheureusement, « la cadole ne livre que dalles ». Voilà le constat auquel était arrivé, en 1997, le GRAT, auquel nous nous référons de nombreuses fois dans ce bulletin. Il avait « procédé au dégagement » d’une cadole « dont la voûte effondrée semblait à priori recouvrir un remplissage épais, susceptible de receler des vestiges contemporains de son édification. Tout ce que révéla la « fouille », c’est que l’édifice était en fait construit sur un murger et que le sol en avait été régularisé par un dallage. Ne furent retrouvés que « des fragments de céramique de facture récente ».
Nos cadoles constituent plus que jamais un patrimoine extrêmement menacé, car celles qui subsistent ont atteint à présent, selon les spécialistes, leur espérance de vie.
Les recenser (type, fonction) mais également localiser celles qui ne se sont pas encore effondrées, déterminer la cause de leur éventuelle destruction (mauvaise qualité de la construction, faiblesse des matériaux, envahissement de la végétation, intempéries, pillage, vandalisme, mauvaise restauration…), intervenir si possible (et à la demande de leur propriétaire) pour tenter de les protéger, de préserver certaines d’entre elles, à commencer par les plus remarquables : Voilà ce qu’il est encore possible de faire.
Car « l’archéologie » la plus importante et donc « la plus justifiée est celle de leur structure au dessus du sol, c’est à dire l’analyse constructive (structure, technique de construction), architecturale et stylistique des parties visibles » de la cadole (C Lassure). C’est cette diversité, décrite avec tant de finesse par Michel Bouillot qu’il faut protéger, sauvegarder et transmettre (le livre des Cadoles de Bourgogne du Sud).


Et vous, avez-vous, ou connaissez-vous, des cadoles et murgers près de chez vous ?

Grâce à vos indications et aux indications précieuses des anciens et des agriculteurs, peut-être pourrions-nous recenser les cadoles sur le territoire communal et si elles ne sont pas en bon état, les remonter ou les reconstruire ?