L’alambic


L’alambic et le bouilleur de cru professionnel : des pratiques ancestrales

À Cruzille, comme dans de nombreux autres villages viticoles, depuis des siècles, des bouilleurs de crus professionnels, nommés aussi bouilleurs ambulants distillent pour les habitants. Au 19ème siècle, on trouve une famille Bolley installée au village dont plusieurs seront bouilleurs de métier, l’un d’eux notamment, s’appellait François Bolley. L’alambic est installé le plus souvent sur la place au centre du village. Sur une photo du début du 20ème siècle, il est placé au bourg, sur la place du lavoir ( maintenant place Edgard Ponthus) . Dans la 2ème moitié du 20ème siècle, l’alambic trouve sa place devant les caves des vignes du Maynes, où différents bouilleurs se sont succédés dont MM Auclair (de Chapaize), Michel (de Chavannes/Reyssouse), Billoud (de Reyssouse), et d’autres sans doute.

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Depuis le début des années 2000, c’est la famille Chapuis de Mancey qui vient occuper la place avec son alambic ; acheté neuf, à la Foire de Mâcon, en 1923 par le grand-père de Jean Chapuis, à l’époque c’était un très gros achat. Vous avez pu le voir cette année, ou les années précédentes, au début du mois de décembre devant la cave de Julien Guillot (Domaine des vignes du Maynes). Cette machine, est déclarée car , en dehors de ce contexte, il est interdit de l’utiliser. Chaque année, au début de sa période d’inactivité, l’alambic de la famille Chapuis est plombé par le service des douanes, puis déplombé, toujours par les mêmes services, pour sa reprise de fonctionnement, à la fin de l’automne pour environ deux mois. En dehors de cette activité de bouilleur, François Chapuis le fils exploite, à Mancey, un domaine viticole, le « Domaine Chapuis » au sein du groupement de la cave des vignerons de Mancey.

Tout ce qui tient à l’utilisation de l’alambic est extrêmement réglementé et contrôlé par le service des douanes.

Il existe de nombreuses rumeurs disant qu’on ne peut pas distiller parce qu’il n’y a plus de privilèges, elles sont fausses car elles mélangent plusieurs notions.

Le privilège, qui était accordé aux exploitants agricoles et leur permettait de faire distiller gratuitement une partie de leur récolte, ce droit pouvait être transmis à leurs enfants si ils étaient eux-mêmes exploitants, ou à leur successeur éventuellement. Ces privilèges (remontant à Napoléon) ont été supprimés en 1960 mais gardent leur validité jusqu’au décès de la personne .
Le droit de bouillir : si les privilèges n’existent plus vraiment (sauf exploitant encore en vie, ayant perçu des allocations familiales dans les années 60) il existe toujours un droit de bouillir accordé à celui qui est récoltant. La quantité maximum par récoltant amateur est de 10 litres d’alcool pur (20 lt à 50°) pour lesquels il aura une réduction de 50 % sur les droits d’accises (ou taxes). Cet alcool sera réservé uniquement à la consommation personnelle de celui qu’on nomme bouilleur de cru, le distillateur , lui, est le « bouilleur ambulant », en l’occurrence pour le village, actuellement, c’est la maison Chapuis.

Il faut être propriétaire d’un verger ou d’une vigne pour distiller et de toute façon, l’important est de déclarer et de payer les taxes à l’état, et la « façon » au bouilleur de cru professionnel.

Avant de porter sa récolte, le récoltant doit faire une déclaration de distillation sur un document demandé aux douanes ou au distillateur conventionné, sur lequel il mentionnera ce qu’il va porter à l’alambic, en quelle quantité et à quelle heure ? Il y eut une époque où ceux qui amenaient leurs fruits ou moûts à distiller devaient, en plus, fournir le bois qui alimenterait la chaudière. Aujourd’hui la chaudière de l’alambic Chapuis fonctionne, elle, au fuel, pas besoin de bois, donc ! En 1923, à l’origine, c’est au charbon qu’il fallait l’alimenter, mais c ‘était il y a bien longtemps, depuis la chaudière a été transformée.

Dans notre village, la tradition viticole veut qu’on distille le marc de raisin (résidu du raisin après pressurage) pour obtenir du marc de Bourgogne, mais les vignerons peuvent aussi faire distiller les lies de leur récolte, ce qui leur donnera de la fine Bourgogne. Tous les fruits peuvent être distillés, mais ceux qu’on trouve le plus couramment portés à l’alambic, par ici, sont les poires, les prunes, les cerises. Ces fruits ont été apprêtés et mis en tonneau au moment de leur récolte, (voir le mode préparatoire).

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Comment l’alambic fonctionne-t-il ?

L’alambic de la maison Chapuis est composé, d’abord d’une grosse chaudière de 600 l remplie d’eau potable , de source qui va être chauffée jusqu’à ébullition (c’est pour cela qu’un alambic est toujours placé proche d’un point d’eau) .

La matière à distiller, elle, a été mise dans les vases en cuivre (au nombre de 3 sur cet alambic ). La vapeur distribuée par la boîte à vapeur est envoyée directement dans les vases au contact des matières à distiller. Après 1h30, on isole un vase pour le recharger. Un rectificateur est chargé de trier les alcools produits en écartant les « mauvais » alcools (grâce aux différences de densité) , notamment ceux chargés de trop d’éthanol. L’alcool produit est mesuré et pris seulement lorsqu’il atteint 45° (sachant qu’on va chercher à obtenir 50°).

alambic-en-fonctionnement

À Cruzille, Julien Guillot , chaque année fait distiller son marc et ses vins troubles (ou lies )assurant ainsi environ la production de 3 pièces d’alcool par an (une pièce en Bourgogne = 228 l) . Il ne va payer, dans un premier temps que la façon au bouilleur, car il réglera plus tard à l’état, les taxes sur la vente de ses bouteilles. Les alcools qu’il produit sont, en AOC depuis peu , (Appellation d’Origine Contrôlée, c’est une jeune appellation pour les alcools) Marc de Bourgogne, ou Fine de Bourgogne Clos des vignes du Maynes .

Ces 3 pièces de marc et de fine, en fûts de chêne, vont être élevées en cave pendant 10 à 20 ans, et, ce faisant elles vont perdre en évaporation environ 1/4 à 1/3 de leur contenu pendant ce temps : C’est ce qu’ on appelle « la part des anges », cette partie qui disparaît. Dans certaines caves , on procède à l’ouillage ( maintien du niveau maximal de remplissage des tonneaux, par remplissage ) des tonneaux d’alcool, mais Julien préfère ne pas y recourir, il trouve que la qualité de ses alcools est meilleure. . . Enfin quand Marcs et Fines sont considérés comme prêts (agréables au palais, peu agressifs, parfumés, harmonieux) il sont mis en bouteilles, que l’on bouche , puis elle vont être cachetées à la cire pour être enfin stockées debout en cave, afin que l’alcool n’attaque pas les bouchons . On voit que le chemin est très long pour arriver à une bouteille de marc de Cruzille ! Le rendement du marc ou des lies est variable selon leur degré alcool de départ.

La maison Chapuis vient donc depuis près de 15 ans faire fonctionner son alambic au village . Jeune homme souriant, débonnaire, le fils Chapuis, remarque que l’an dernier il n’y avait pas eu beaucoup de fruits à distiller, c’était une petite année fruitière. On sent qu’il se plaît dans cette pratique ancestrale. L’alambic passe en général, chaque année, 8 à 10 jours sur notre commune et il y a encore de nombreux clients. La famille Chapuis souhaite pouvoir faire perdurer cet étonnant métier le plus longtemps possible, alors n’hésitez à apporter vos fruits et pour cela pensez à les préparer.