Les origines de l’affouage remontent au moyen âge.
Le mot « affouage » date du XIIIème siècle et vient du verbe d’ancien français “affouer”, qui signifie “chauffer”, lui-même dérivé du latin affocare et de focus qui désigne le foyer. L’affouage constitue la survivance de l’ancien droit où, en contrepartie des travaux de “corvée”, les paysans partageaient en commun certaines possibilités d’utilisation des terres indispensables à leur survie, dont la forêt.
Actuellement, l’affouage peut être défini comme un mode de jouissance des produits des forêts communales ou sectionales* relevant du régime forestier. Il peut permettre chaque année à certains habitants de la commune ou de la section d’entrer en possession du produit des coupes qui leur sont délivrées. Les bénéficiaires sont dits “affouagistes”.
L’affouage n’est pas un droit pour les habitants. Seul le conseil municipal peut décider si les coupes affouagères seront vendues ou partagées en nature.
Ce dispositif original est réglementé par le Code forestier français promulgué en 1827 dans sa première mouture :
- Le conseil municipal de Cruzille décide traditionnellement d’affecter une coupe de bois à l’affouage avec exploitation par les affouagistes. Il doit désigner trois garants. Il s’agit actuellement de MM. Point, Martin et Zingraff.
- Les bénéficiaires doivent posséder un domicile réel et fixe dans la commune depuis au moins 6 mois. Ils s’inscrivent au rôle d’affouage et acquittent la taxe correspondante (50 €).
- Les coupes des bois communaux destinées à être partagées en nature pour l’affouage, ne pourront avoir lieu qu’après que la délivrance en aura été préalablement faite par l’agent ONF, M. Denis Oriol.
- Ce dernier réserve une partie des arbres conservés pour le repeuplement. Ces arbres sont marqués par une flache (enlèvement d’une partie de l’écorce) ou à la peinture.
Le mode de partage retenu à Cruzille est par feu (foyer d’habitation). Les parts affouagères (coupes) sont préalablement jalonnées et tirées au sort.
Il y a interdiction pour les bénéficiaires de vendre le bois qui leur a été délivré.
L’aménagement de la forêt
Il est remarquable de constater avec quelle sagesse le droit romain, puis les réglementations du moyen-âge ont prévu l’exploitation forestière. Colbert précisa ces règles. On peut dire que, depuis, elles ont subi peu de modifications, celles-ci tendant toujours à protéger le patrimoine forestier contre l’exploitation inconsidérée : la forêt est divisée en un certain nombre de parcelles qui sont exploitées les unes après les autres suivant un échelonnement conforme aux règlements, aux usages locaux aussi. Ces règlements ont toujours pour but soit de parer à des besoins extraordinaires, soit de pallier les accidents de végétation susceptibles de diminuer une production escomptée. Ainsi, les forêts communales ne seraient exploitées qu’aux trois quarts, d’où l’expression “quart en réserve”, c’est à dire celui qui ne sera exploité que pour répondre à des besoins spéciaux, sur autorisation préfectorale seulement. À Cruzille, il s’agit d’une parcelle de 3 ha 03 dans le bois de la Montagne et du bois de Moine en totalité (23 ha 49).
* Les biens sectionaux : bois, teppes et pâtures
Ce régime est lui aussi un pur produit historique issu de l’ancien droit, lui-même produit par les libéralités concédées aux habitants par les seigneurs sur des terres peu productives : c’est une survivance de modes de gestion moyenâgeux, banalités et autres alleux.
Avant l’année 1793, les biens communaux appartiennent aux communautés d’habitants qui sont le plus souvent identifiées par les sections de paroisses d’Ancien Régime.
Cruzille comprenait Colonges – siège de la paroisse – et Sagy, qui formaient deux communautés ; Fragnes et Ouxy n’en formaient qu’une. Sagy faisait partie de la paroisse deux ans sur trois (la troisième année, il devenait de la paroisse de Bissy la Mâconnaise). Fragnes et Ouxy faisaient de même avec les paroisses de Colonges et de Prayes.
Dans la grande enquête ordonnée par Colbert et réalisée par Bouchu, intendant de Bourgogne en 1666, on a la confirmation que Colonges et Sagy ont leurs droits respectifs au sujet des bois communaux. Fragnes et Ouxy n’ont pas de bois communaux, ils ont seulement le droit d’envoyer champoyer leurs bestiaux dans les bois du roi en temps de vaine pâture et d’y prendre du bois pour leur chauffage moyennant une redevance qu’ils payent au château de Brancion (pour Fragnes : 2 coupes de froment et 4 d’avoine, 2 poules et 1 sol 9 deniers pour chaque ménage. Pour Ouxy : 2 poules et 6 deniers d’argent).
La révolution française, consciente de la nécessité de ces biens pour permettre aux plus pauvres de n’être plus des serfs mais des citoyens, avec un minimum vital à exploiter, n’a pas mis fin à ces usages.
Après l’année 1793, les biens communaux d’Ancien Régime se sont divisés de manière anarchique en deux groupes :
- certains biens communaux auxquels s’ajoutent les acquisitions ultérieures, qui appartiennent aux communes. A Cruzille on peut citer : les Tronches, le Chanay, les Chassagnes, en Vernebois …
- les autres biens communaux qui deviennent biens sectionnaux car appartenant aux sections. Les forêts sectionales de Cruzille furent définies ainsi :
– la Montagne et la Goulette pour Sagy, soit environ 75 ha.
– les Genèvres, les Reppes, Prénagin, les Tessonnières et les Epines pour Colonges, soit environ 75 ha.
La gestion des biens de la section est assurée par le maire et le conseil municipal. Toutefois, lorsque la section est assez importante (revenu cadastral important) et comporte suffisamment d’électeurs, elle peut élire un conseil syndical de trois membres qui participent aux décisions de gestion les plus importantes.
Les seuls conseils syndicaux élus dont on retrouve les documents aux archives municipales l’ont été le 15 novembre 1908. Ils ont été élus afin de statuer le 5 décembre 1908 sur la dévolution des produits issus des coupes de bois. Ces conseils ont été dissouts immédiatement après.
Les membres du conseil syndical de Sagy, composé de MM. Barraud Benoit (qui a été désigné président), Boissaud Prosper et Moindrot Claude ont été appelés à répondre par oui ou par non à la question suivante :
« Etes-vous d’avis que le produit de la vente des coupes de bois appartenant en propre à la section de Sagy soit versé à l’avenir dans la caisse communale afin de servir aux besoins généraux de toute la commune ? » : unanimité avec 3 oui.
Les membres du conseil syndical de Colonges, composé de MM. Thurissey Morandat (qui a été désigné président), Létourneau Reby et Chambard Létourneau ont été appelés à répondre par oui ou par non à la question suivante :
« Etes-vous d’avis que le produit de la vente des coupes de bois appartenant en propre à la section de Colonges soit versé à l’avenir dans la caisse communale afin de servir aux besoins généraux de toute la commune ? » : unanimité avec 3 oui.
Dernière survivance de ce régime particulier, les deux sections de forêt cruzilloise sont restées exploitées séparément par les affouagistes de Colonges et de Sagy jusque dans les années soixante, période durant laquelle les besoins en bois de chauffage furent en constante diminution.
A Cruzille, il n’était pas fait de distinction sectionale pour la pâture des bœufs et des vaches dont les propriétaires pouvaient jouir du droit de pâturage dans tous les terrains communaux. Il n’en était pas de même pour les propriétaires de chèvres : obligation pour ceux de Sagy de les mener paître aux lieux-dits “sur la Combe” et “aux Chassagnes”, ceux de Colonges “aux Tronches” et ceux de Fragnes “aux Bruyères” et “Vernebois” ; ceux d’Ouxy n’ayant pas de communaux ne pouvaient les conduire que sur leur propriété. Les moutons étaient interdits de pâture sur les communaux.
Effet probable de cette appartenance alternative à deux paroisses différentes, une parcelle de forêt sise sur notre territoire a été l’objet d’une contestation qui a duré près d’un siècle et a opposé les communes de Cruzille et de Bissy la Mâconnaise à l’occasion de nombreux procès en revendiquant la propriété (relatés dans le bulletin municipal de Cruzille n° 22 de janvier 2008). Le litige portait sur le Bois du Mont, une parcelle de forêt d’environ 4 hectares et demi située au sud-ouest du lieu-dit “la Cabane du Comte” et non limitrophe avec la commune de Bissy la Mâconnaise.
La contestation aurait commencé dès 1762, opposant les habitants de Sagy aux habitants de Charcuble. Au départ de l’affaire, il semble que les habitants de Charcuble aient saisi le tribunal de Mâcon qui avait nommé des experts fonciers, lesquels, alors que « ce bois a toujours été la propriété des habitants de Sagy », l’avaient « par méprise, attribué à ceux de Charcuble ».
Les comptes-rendus du conseil municipal nous permettent de suivre les jugements et appels auprès de la Cour Royale de Dijon et du tribunal civil de Mâcon ainsi que les frais et dédommagements supportés par les habitants de Sagy jusqu’en 1856.
En définitive, cette parcelle restera propriété de Bissy la Mâconnaise ; sur le cadastre, elle est notée “forêt sectionale de Charcuble”. On notera que la commune de Bissy la Mâconnaise possède sur notre territoire une autre petite parcelle de bois de 9 a 60 au lieu-dit “la Roche”.
Toutefois, ce régime particulier ne s’adressant qu’à une fraction de la population d’une commune, constitue une rupture d’égalité, ces biens produisant des richesses qui ne peuvent être utilisées que dans l’intérêt du territoire de la section, alors même qu’ils appartiennent à la commune dans son entier.
Plusieurs fois réformée au cours des trois dernières décennies, la gestion des biens sectionaux est source importante de conflits. Le Sénat a proposé une modernisation des textes : ainsi, le régime des sections de communes a été modifié par une loi promulguée le 27 mai 2013 et publiée au Journal officiel du 28 mai 2013.
La loi concerne le transfert des biens d’une section de communes au profit de la commune.
Le texte prévoit le recensement systématique des sections de communes sous la responsabilité du préfet. Il élargit les cas dans lesquels il peut être procédé au transfert gratuit des biens à la commune par le recours à la procédure simplifiée.
Bibliographie :
“Tout ce qu’il faut savoir sur l’affouage en Bourgogne” par Nicolas Lecœur, responsable commercial bois à l’ONF
Archives de la Côte d’Or citées dans “Monographie de la Seigneurie de Cruzille en Mâconnais” d’Alexandre Dubois